Bardem en vivo


Posté le 16.10.2018 à 12h30


 

Il ne croit « pas en Dieu mais en Al Pacino ». Généreux et drôlissime, l'acteur espagnol Javier Bardem a enchaîné les souvenirs de tournage.

 

14 OCT Master Class Javier Barden S Thesillat 5844 Copyright Institut Lumière / Sandrine Thésillat - Jean-Luc Mège Photography 2018

 

Jambon, jambon de Bigas Luna (1992)

« Quand on a fait Jambon, jambon, Penelope (Cruz) avait 16 ans et moi et Jordi Mollà, 21. Nous avons eu la chance divine d'être dirigés par Bigas Luna, qui nous a traités avec respect, tendresse et générosité. Et avec beaucoup d'humour, en présentant toute chose comme futile. Cette attitude a eu le même effet sur Penelope, sur Jordi et sur moi : cela nous a fait aimer ce métier. À l'âge que nous avions, si nous avions été traités autrement par un autre réalisateur, nous ne serions certainement plus dans ce métier aujourd'hui ».

 

Avant la nuit de Julian Schnabel (2000)

« Je dis toujours que ma carrière a connu deux tournants : le premier a été celui que m'a fait prendre Bigas Luna et le deuxième, ça a été Julian Schnabel, parce qu'il m'a permis de trouver une voix en anglais. Schnabel a décidé de me donner le rôle principal dans son film 20 jours avant le début du tournage. J'ai eu 20 jours pour apprendre l'anglais, perdre 15 kgs, prendre l'accent cubain… Ça a été une folie, mais j'en garde un souvenir extraordinaire ».

 

Les Fantômes de Goya de Milos Forman (2005)

« Le film n'a pas eu de succès mais j'ai pu dîner tous les soirs avec Monsieur Milos Forman. Rien que de dire son nom élève mon âme. C'est l'homme le plus extraordinaire, le plus sympathique, le plus spécial, le plus intelligent que j'aie rencontré. Le premier jour de tournage, j'étais sapé en curé et je devais violer Nathalie Portman. Il a hurlé : « Action… Cuuuuuuuuuut! Javieeeeeeer! Tu es en train de détruire mon film !... Non, je blague, ça va ».

 

No Country for old men des frères Coen (2007)

« Les frères Coen ont trouvé ma coiffure dans le film en regardant un livre des années 60, qui montrait un homme dans une maison close, avec des prostituées, dans la ville frontalière de Tijuana. Ils étaient morts de rire. Un coiffeur qui comprenait leur langage m'a fait la coupe et quand ils sont revenus, ils ont à nouveau rigolé. J'ai eu cette coupe pendant quatre mois. J'avais beau faire des shampooings, mes cheveux reprenaient cette forme. Et la pire humiliation que j'ai subie de toute ma carrière ça a été de porter un petit filet sur les cheveux pour qu'ils restent en place. On tournait au Texas et je me suis fait arrêter par un policier qui m'a demandé mes papiers… On a tourné trois jours, et il m'a contrôlé tous les jours ».

 

Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen (2008)

« J'étais à Londres et un monsieur est arrivé dans ma chambre d'hôtel avec le scénario de Woody Allen. Je me suis mis à lire et il est resté là à me regarder en hochant la tête. C’était un monsieur d'un certain âge, très mince, habillé tout en noir. J'ai dit « Oui, oui, je vais faire le film... ». Et un jour, alors que j'étais sur le tournage, Woody Allen me regarde, il vient droit vers moi et me dit « Hiii hiii, how are you? » et je lui réponds « Heu, je travaille là »… Il ignorait totalement que j'étais dans le film. Et quand on tournait une scène en espagnol, il nous disait « Bye bye » et il s'en allait carrément. Mais c'est un génie et je retravaillerais avec lui demain s’il me le proposait. Le mouvement Metoo c'est très bien, mais la justice l'a déclaré non-coupable dans deux états différents. Le lynchage public, c'est très grave. Si un jour un juge le condamnait, je changerais d'avis mais à ce jour il a été déclaré non-coupable".

 

Biutiful d'Alejandro González Iñarritu (2010)

« Ce tournage a été un enfer pour moi et pour lui. Je n'ai pas du tout été un acteur docile dans ce film. L'auto-suggestion est un outil de travail de l'acteur, un muscle qu'il faut travailler, mais sur ce film j'en ai fait un peu trop. À tel point qu'à un moment je me suis senti mourir, et j'ai commencé à mettre de l'ordre dans ma vie. Ce n'est pas interpréter un rôle ça, c'est utiliser le travail comme une thérapie. Alejandro devait sans cesse me ramener vers l'interprétation pure. C'était la première fois qu'il écrivait son histoire pour un seul acteur et on en a tous les deux payé le prix. J'étais incapable de me détacher du regard du personnage sur la vie. Ce poids émotionnel pendant six mois de tournage, nous a épuisés, Alejandro et moi. Je lui suis très reconnaissant de m'avoir tenu par la main jusqu'au bout. »

 

Rébecca Frasquet

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