Claire Denis

Cinéaste féline

  


Posté le 18.10.2018 à 11h25


 

Voir ensemble, en communion, sur un temps ramassé, les films de Claire Denis projetés à Lumière est une expérience très particulière. Il est rare qu'une cinéaste offre cette sensation de livrer une œuvre comme un condensé, une essence de parfums si purs que l'on y pense encore très longtemps après avoir vu ses films. Le cinéma de Claire Denis c'est la beauté des corps.

Le cinéma de Claire Denis c'est la beauté des corps qui planent, stagnent, des physiques féminins, masculins, à l'immobile, qui paraissent flotter au creux d'atmosphères puissantes. Ca respire, ca hume, ça observe, ça cherche aussi et ça se déplace étrangement, imperceptiblement, avant à nouveau de s'immobiliser. Le style est secret, tendu, contrôlé par une Claire Denis qui, quoi qu'elle filme, a du style ! Derrière ce même esprit, il y a une œuvre, des films qui se correspondent et s'appellent.Comment ne pas lier et souder alors l'extatisme de Béatrice Dalle à l'aube blafarde, cannibale tremblante à peine repue de Trouble everyday (2001), la bouche en sang, aux lèvres légèrement entre ouverte de Robert Pattinson, cosmonaute en attente lui aussi d'une High Life (2018) ? Savoir attendre. Attendre quelque chose est une des grandes beautés des héros du cinéma made in Claire Denis. Attendre sans crainte, debout face aux choses, comme la femme blanche de Chocolat (1988), ou les narines frémissantes de Juliette Binoche pleine de quête amoureuse dans Un Beau soleil intérieur (2017).

 

06 Claire Denis Masteclass Jeudi Chassignole

© Institut Lumière / Chassignole

 

Claire Denis pousse ses comédiens, bercés par des bandes sons toujours impeccablement composées, à exprimer leurs instincts moraux, et physiques, à revenir à des remous intérieurs impérieux qui les transforment, les transfigurent, en font des créatures quasi fantastiques. Pas seulement immobile finalement, le cinéma de Denis convoque des coeurs qui vibrent pourvu qu'ils soient en contact, ensemble, connectés comme une formule chimique qui marche et qui éprouve, car rien n'est sans risque dans ces films-là. Autour de ces personnages félins, le monde s'hybride. Pas totalement urbain, encore un peu sauvage, tels les états fondamentaux de ceux qui les traversent. En Afrique, à Paris, dans la zone, en apesanteur, il faut avancer à l'aventure, sans rien oublier de ce qu'on laisse derrière soi. Le cinéma de Claire Denis montre ainsi que tout est possible parce les sensations dont sont capables ses héros, sont dotées de variations inouïes, de sens comme décuplés. Comment alors ne pas vouloir s'identifier et même s'y reconnaître ? Avec un sens de l'image assez exceptionnel, la réalisatrice d'une précision féroce, prend par la main chacun d'entre nous, emporte et porte en voyage, comme une expérience sensorielle nouvelle et donc moderne, qu'on aurait tous envie de vivre et revivre. Une expérience d'aventuriers d'aujourd'hui.

 

Virginie Apiou

 

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