Table-ronde CNC

Les pionnières inconnues du cinéma
 


Posté le 22.10.2018 à 16h45


 

À l’occasion de Lumière 2018 et en partenariat avec le magazine Causette, le CNC a organisé une table-ronde Femmes et cinéma : Les Défricheuses à Lyon. Compte-rendu.

Réalisatrices, actrices, scénaristes, nombreuses sont les femmes qui se sont emparées du cinéma dès sa naissance. Et pourtant qui les connaît ? Alice Guy, Musidora, Lotte Reiniger, Loïe Fuller et les autres ? Très présentes dans toutes les professions du cinéma, elles perdent du terrain après les années 20, et sont longtemps cantonnées à quelques métiers spécifiques. Aujourd’hui, que reste-t-il de ces pionnières ? Quel héritage ont-elles laissé à leurs descendantes ? Peut-on encore sauver leurs films, un patrimoine longtemps oublié ?

 

Table Ronde

Copyright Institut Lumière / Bastien Sungauer

 

Autour de la table, Isabelle Motrot, modératrice de cette rencontre et directrice de la rédaction du magazine Causette, la réalisatrice Danielle Jaeggi, Hélène Fleckinger, maîtresse de conférence en cinéma à l'Université Paris 8, Béatrice de Pastre, directrice adjointe du patrimoine cinématographique et directrice des collections du CNC, et Véronique Le Bris, journaliste, fondatrice du magazine Cine Woman, et créatrice du prix Alice Guy.

 

Qui sont-elles ?

Alice Guy, la première femme réalisatrice de l'histoire du cinéma, était une passionnée de technique. Contrairement aux stéréotypes, les premières femmes du cinéma étaient impliquées dans toutes les facettes du métier. Sténographe aux côtés de Léon Gaumont, elle a pris des cours avec un photographe avant-gardiste qui lui a appris le développement, l'utilisation du matériel et le trucage. Curieuse de tous les genres de cinéma, du documentaire à la fiction, elle avait un sens aigu de la direction d'acteurs. D'autres comme Lotte Reiniger en Allemagne ou Elvira Notari en Italie ont joué des rôles déterminants dans l'histoire du cinéma, qui pourtant les a oubliées. Une histoire écrite pour l'essentiel par des hommes, et enseignée dans des cours qui n'intègrent pas la question de genre. Très peu d'ouvrages proposent une réflexion sur l'histoire du cinéma vue par le prisme du genre. « 50 femmes de cinéma » de Véronique Le Bris fait figure d'exception. Composé de cinquante portraits de femmes de cinéma, ce livre propose de redécouvrir l’histoire du septième art sous le prisme féminin. Des héroïnes de tous continents et de tous corps de métier : des actrices, mais aussi des productrices, réalisatrices, costumières, etc. comme Alice Guy, Kathryn Bigelow, Brigitte Bardot ou encore Marlène Dietrich.

 

Salle

Copyright Institut Lumière / Bastien Sungauer

 

La traversée du désert

Alors qu'à ses débuts l'industrie du cinéma était relativement ouverte aux femmes, les années 30 marquèrent le début de la traversée du désert. De moins en moins de femmes deviennent réalisatrices, productrices ou encore scénaristes. En Allemagne, Lotte Reiniger est blacklistée par le régime fasciste et forcée à quitter son pays. Les métiers dévolus aux femmes sont ceux de scriptes, maquilleuses et monteuses. « Pourquoi monteuses ? », demande-t-on autour de la table. Parce que, vient la réponse, les machines à monter ressemblaient à des machines à coudre. Les femmes n'entament leur come-back dans les métiers clefs du cinéma que dans les années 80 suite au mouvement de libération des femmes des années 70. Selon Hélène Fleckinger, 1968 est une date charnière : après les états généraux du cinéma en mai 68, il y a un appel à démocratiser les moyens d'expression cinématographiques, une prise de conscience de l'oppression de la femme dans le cinéma. Ceci converge avec l'apparition d'une nouvelle technique, la vidéo légère, qui permet de filmer dans la longueur, offrant une prise de parole sans interruption. Les militantes des droits des femmes s'emparent de ces nouveaux outils filmiques pour gagner en autonomie : de la réalisation au montage, elles maîtrisent tous les maillons de la chaîne et proposent de nouvelles images, reflétant la parole des femmes.

Agnès Varda explique comment, sur les conseils de Resnais, elle a commencé à fréquenter les cinémas dans les années 50. « J'ai commencé à voir de très beaux, grands films, des films d'hommes. Je disais aux femmes : « Apprenez la caméra, le montage. » J'ai vu une société de techniciennes qui sortaient de l'idée qu'elles n'avaient pas le droit... Ce n'est pas seulement l'histoire du cinéma mais l'histoire de la société qui a changé... Des deux palmes d'or qui ont été décernées à des femmes l'une était partagée (Jane Campion a reçu la palme d'or pour La leçon de piano en 1993 ex-aequo avec Chen Kaige) et la mienne est une palme d'or d'honneur, donc pas vraiment... Aujourd'hui la boule roule, les femmes choisissent de faire des choses qui leur plaisent. »

 

Public

Copyright Institut Lumière / Bastien Sungauer

 

Pour une meilleure parité

Aujourd'hui, dit Evelyne Laquit, le CNC accompagne les écoles de cinéma, particulièrement la FEMIS, pour garantir la parité, notamment dans la section réalisation. Mais la question qui se pose est celle du devenir des femmes diplômées de la FEMIS : pourquoi seulement 20% des films sont-ils réalisés par des femmes ? Pour tenter d'y répondre, le CNC a annoncé lors de ses Assises sur la parité, l'égalité et la diversité (en septembre 2018) une étude sur le devenir des femmes diplômées dans le cinéma pour comprendre les freins qu’elles rencontrent et y répondre par des dispositifs appropriés. Parmi les autres mesures phares annoncées lors de ces Assises : la mise en valeur et la restauration des films de patrimoine réalisés par des femmes, ainsi qu'un bonus pour les films qui intègrent autant de femmes que d'hommes dans les postes d'encadrement de leur équipe de tournage (réalisation, direction de production, direction photo etc). Ce bonus représentera 15% du soutien accordé au film par le CNC.

#MeToo : un tournant dans l'histoire du cinéma

Et #MeToo, quel impact sur la place des femmes dans le cinéma ? Pour Hélène Fleckinger, le mouvement a profondément changé l'enseignement, et notamment l'analyse filmique, ainsi que les thématiques de cours et les films proposés. « Une scène de viol ne sera plus jamais analysée de la même façon qu'avant, » explique-t-elle.

Autant de sujets de discussion passionnants autour d'une table ronde dont on n'a pas envie qu'elle se termine – mais il y en aura d'autres car le CNC prévoit un cycle de conférences du même style pour faire le tour des festivals de cinéma.

 

Lise Pedersen

Catégories : Lecture Zen