Festival Lumière 2018
Par Serge Kaganski

Tempête Fonda à Lyon

 


Posté le 20.10.2018 à 16h


 

Après les grosses journées de mercredi et jeudi, mon agenda Lumière s’est un peu adouci ce vendredi. Remplaçant au dernier moment Nicolas Seydoux (lourde charge sur mes épaules), j’ai présenté Les Inconnus dans la maison de Henri Decoin que j’avais découvert pas plus tard que dimanche dernier dans une copie superbement restaurée, merci Lumière (et Gaumont, les restaurateurs, d’où la présentation prévue par Seydoux) ! La grande salle de l’Institut était pleine (c’est une habitude à Lumière) de chanceux qui allaient découvrir ou revoir ce chef-d’œuvre noir tourné en 1942 qui reflète le climat psychologique de la France sous l’occupation : sombre, humide et poisseux. Lors de ma présentation, j’ai failli « spoiler » la fin du film mais fort heureusement, le public vigilant s’est manifesté pour m’empêcher de trop en dire. Ainsi va la passion du cinéma et quand on aime un film, on a du mal à s’arrêter d’en parler.

J’ai enchaîné ensuite avec la présentation de Tempête à Washington d’Otto Preminger au Lumière Bellecour, encore devant une salle pleine (mais plus petite qu’à l’Institut). Chaleureusement accueilli par la directrice de la salle qui m’a dit regretter fortement mon départ des Inrocks (ce qui m’a beaucoup touché), j’ai savouré le bonheur de présenter un autre chef-d’œuvre. Tempête à Washington, c’est un fleuron des « Mac Mahoniens », ces critiques qui avaient élu Fritz Lang, Raoul Walsh, Joseph Losey et Otto Preminger comme leur carré d’as. Points communs de ces grands maîtres : un style épuré, une virtuosité qui ne s’affiche pas, sorte d’équivalent de la ligne claire d’Hergé, retenue que l’on retrouve également dans la peinture des relations humaines avec un rejet du pathos, du sentimentalisme. Ou quand la tenue du style s’allie à la tenue des affects. Tempête à Washington présente toutes ces caractéristiques d’autant mieux que le film plonge dans un milieu où on ne fait pas de sentiment : la politique au plus haut niveau. Le pitch : un sénateur est en passe d’être nommé secrétaire d’état (c’est-à-dire ministre), ce qui déclenche un complexe écheveau d’intrigues, de tractations, de rivalités, de coups bas... Une fresque lucide et un brin désenchantée du fonctionnement de la démocratie américaine. En somme, ce film raconte les coulisses d’un remaniement ministériel, ce qui démontre sa permanente actualité ! Henry Fonda y est magnifique en honnête serviteur de son pays et de la démocratie et Jane a eu bien raison de choisir ce film pour l’hommage rendu à son père.
 

Tempete A Washington 600x400
Film Tempête à Washington

 

Jane Fonda, c’est justement le moment d’en parler puisque ce vendredi soir se tenait la cérémonie de remise de son prix Lumière 2018. Soirée enjouée, dynamique, féministe, menée de main de maître par Thierry Frémaux qui excelle dans ce genre d’exercice. Outre les beaux clips résumant 10 éditions du festival ainsi que le millésime 2018, Vincent Delerm a enchanté la salle en reprenant Piaf (choisie par Jane) avec délicatesse et humour pince-sans-rire, Nolwenn Leroy a superbement repris La Quête du grand Brel (autre choix Fonda fondé), Dominique Blanc a lu un extrait ô combien pertinent du Deuxième sexe de Simone De Beauvoir (que le signataire de ces lignes et sans doute beaucoup d’hommes approuvent sans réserve), même s’il est regrettable que ce texte écrit en 1949 demeure de pleine actualité en 2018, comme l’a justement pointé Dominique Blanc. Puis ce fut le tour des talentueuses Anaïs Demoustier, Suzanne Clément et Anne Consigny de lire chacune un extrait de l’autobiographie de Jane Fonda qui prouvait que l’actrice de Klute est une digne héritière des combats de Beauvoir.

Vieil ami de Jane, Costa-Gavras énonça ensuite le discours d’hommage au Prix Lumière 2018 avec quelques difficultés sans doute dues à l’émotion (émotion qui faisait partie du beau cocktail de cette soirée), ce que Jane lui retourna ensuite avec humour en lui balançant une petite vanne amicale. L’humour, la décontraction, la classe, le charisme sont des mots qui vont bien à Jane Fonda, tant elle a conquis le public du Palais des Congrès par son allure, son rayonnement et ses blagues spontanées. Jane aussi est une tempête, ou disons plutôt une tornade, de féminité et d’intelligence. Plutôt que de faire un grand discours comme la plupart des lauréats Lumière, elle a célébré la gastronomie lyonnaise (« On bouffe bien ici ! »), puis entonné en français une chanson paillarde (« Que m’a appris Vadim, entre autres choses », confia-t-elle) : c’était juste génial. Pour conclure cette soirée magique, il ne restait plus qu’à reprendre à tue-tête façon karaoké géant mené par Nolwenn le Je ne regrette rien de la grande Edith qui allait si bien à la grande Jane.

 

Serge Kaganski

Catégories : Lecture Zen