Le cas Decoin

Un cinéaste à redécouvrir 


Posté le 11.10.2018 à 11H


  

Cinéaste tout terrain, Henri Decoin mérite certainement d’être redécouvert. Polar nerveux ou psychologique, film historique, drame, comédie musicale ou sentimentale, autant de genres que le réalisateur compte à son actif. Et ce sont souvent de grandes réussites comme le prouve la rétrospective proposée par le festival Lumière.

Champion de France en natation, aviateur durant la Première Guerre, romancier, journaliste sportif, scénariste (dès 1925), et enfin cinéaste, Decoin est inimitable. Son oeuvre est parsemée de films agréables, toujours bien construits, et aussi d’incontournables. Voici donc un petit guide pour partir à la découverte de ce grand metteur en scène du cinéma français dont la carrière couvre plus de 30 ans et une cinquantaine de films.

 

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Débutant à plus de 40 ans comme réalisateur en 1931 avec un court métrage (A bas les hommes), Decoin tourne dès 1934 un film palpitant autour de la boxe avec Toboggan, où l’on retrouve l’ancien champion du monde de boxe, Georges Carpentier, dans le rôle-titre. Le metteur en scène décrit la violence des combats autour d’un has-been, employant parfois un style semi-documentaire très efficace. L’année suivante, il rencontre Danielle Darrieux, qu’il épouse et qui deviendra son héroïne de prédilection à travers une dizaine de films, même après leur divorce. De leur filmographie commune, on retiendra Battement de cœur (1940), une comédie rivalisant avec les fleurons américains du genre. L’actrice y incarne une orpheline en fuite forcée de prendre des cours de pickpocket. Plus tard, elle devra prouver les infidélités de l’épouse de celui qui l’a prise en flagrant délit. Répliques mordantes, rythme soutenu, le film est aussi l’occasion de revoir des seconds rôles inoubliables comme Julien Carette, Saturnin Fabre et Jean Tissier. Par la suite, ils se retrouvent pour L’Affaire des poisons (1955), où Darrieux se glisse dans la peau de Madame de Montespan. Le film flirte avec le cinéma d’horreur par son atmosphère angoissante (et un abbé bien dérangeant joué par Paul Meurisse), préfigurant l’arrivée de la britannique Hammer, et ses couleurs incroyables (pratiquement sorti 18 mois avant le Frankenstein s’est échappé de Fisher). Pas mal pour un film jugé comme secondaire dans l’œuvre du cinéaste. 

Pour La vérité sur Bébé Donge (1952), Decoin retrouve Darrieux et dirige Jean Gabin pour la première fois. Considéré comme l’une des meilleures adaptations d’un roman de Simenon, voilà un drame bien noir (plus encore que le livre d’origine) sur un couple en détresse. Lui est un riche industriel égoïste et homme de pouvoir, qui se retrouve sur un lit d’hôpital empoisonné par sa femme, amoureuse au début puis devenue indifférente à son mariage. À travers de nombreux flashbacks, le réalisateur tisse une histoire sans espoir avec un duo de haute voltige entre Darrieux et un Gabin rédempteur, très éloigné des rôles stéréotypés qu’il allait tenir. Simenon-Decoin est une association qui marche. Rappelons au passage qu’auparavant il y avait eu L’homme de Londres (1943, un peu daté avouons-le) et surtout Les Inconnus dans la maison (1942). Scénarisé par Henri-Georges Clouzot, le film raconte l’histoire d’un avocat abandonné par sa femme qui a sombré dans l’alcoolisme. Il revient au barreau pour y défendre un ami de sa fille accusé à tort de meurtre. Produit par la Continental en 1942, le film est une véritable plaidoirie pour une jeunesse alors ignorée et contre l’indifférence des parents responsables et des bonnes mœurs bourgeoises de province. Un vrai pavé dans la mare pour l’époque, interprété par un Raimu en grande forme.

 

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Decoin donne aussi ses lettres de noblesse au polar français avec Razzia sur la chnouf (1955) d’après Auguste Le Breton.  Avec cette authentique immersion dans le milieu de la drogue et de la mafia, Henri Decoin retrouve Gabin (alias le nantais) à son apogée face à Lino Ventura, Dalio et tant d’autres gueules filmées avec un plaisir évident. Le metteur en scène aime les comédiens, et les dirige souvent dans des rôles à contre-emploi comme Louis Jouvet, victime d’une rumeur à propos d’une éventuelle liaison avec sa protégée pour Les Amoureux sont seuls au monde (1948, un superbe script d’Henri Jeanson), qu’il retrouve pour l’intéressant Entre onze heures et minuit, où un inspecteur de police profite de sa ressemblance frappante avec un malfrat retrouvé mort pour mener l’enquête. Idem pour Michel Simon dans Non coupable (1947), ici médecin ivrogne devenu meurtrier par accident et qui va y prendre goût, se prenant même pour un génie criminel. Decoin en profite à travers ce personnage à la Jekyll et Hyde pour égratigner à nouveau la France profonde d’alors. Le metteur en scène n’en reste pas là avec Simon qu’il choisit à nouveau face à Gaby Morlay pour Les amants de St Jean, film étonnant où se côtoie la comédie et la tragédie tandis qu’un jeune couple découvre que finalement il ne s’aime pas sur fond de problème sociaux. À découvrir d’urgence, surtout que le film est plutôt rare. On n’oubliera pas de citer encore Un soir au music-hall (1956), une comédie musicale française réussie (l’exploit n’est pas commun) avec Zizi Jeanmaire, et Eddie Constantine (qui y chante Paris-bohême), et évidement La chatte (1958), où Françoise Arnoul (une de ses actrices fétiches) campe une attirante mais redoutable espionne à la tête d’un réseau de la résistance. Vaste univers que celui de ce réalisateur. Jamais attaché à un genre particulier, se renouvelant perpétuellement, Henri Decoin reste insaisissable et c’est tant mieux.

La rétrospective Henri Decoin au festival Lumière c’est ici.

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