Originaire de Tchécoslovaquie, Edgar George Ulmer eut une carrière pour le moins originale, sinon marginale. Passé de l’architecture aux décors de théâtre, il entre en cinéma comme assistant de F. W. Murnau, puis réalise à Berlin, en 1929, avec ses amis Siodmak, Zinnemann et Wilder, le remarquable Les Hommes le dimanche. Aux États-Unis, il signe en 1934 Le Chat noir avec Boris Karloff et Bela Lugosi. Mais il ne travaillera plus ensuite – westerns, films de commande du ministère de la Santé, films yiddish, aventures fauchées – que pour des productions désargentées comme la PRC, surnommée Super Poverty Row. Mais l’homme ne manque pas d’imagination.
Tourné en six jours et monté en trois, Détour bénéficia d’un budget ridicule et de peu de pellicule. Habitué de ce genre de situations, Edgar G. Ulmer s’en arrange : pas de surplus, pas de fioritures, le cinéaste va vers l’épure. Le film est d’une sécheresse particulièrement efficace. Pour le spécialiste du film noir Eddie Muller, Détour est « un chef-d’œuvre du cinéma fauché ».
Martin Goldsmith, ici scénariste et adaptateur de son propre roman, fut convoyeur automobile. À bord d’une Buick familiale, il traversait le pays d’Est en Ouest avec six passagers. Une expérience certainement très inspirante pour son roman. Car, comme le souligne Luc Moullet, le road-movie relève ici de la tragédie grecque. Le personnage va de cauchemar en cauchemar, malmené par une compagne de voyage folle, manipulatrice, hystérique - et turberculeuse. Le duo Tom Neal et Ann Savage fonctionne à merveille. La noirceur est absolue. Al conclut son récit ainsi : « Le destin, ou une force mystérieuse, peut vous pointer du doigt sans la moindre raison ».
« Dans Détour, Ulmer eut recours à tous les trucs possibles pour réussir un film captivant avec presque rien. […] Ulmer voulait transformer cette saga routière délirante en un drame intérieur : l’action est littéralement confinée dans l’esprit agité d’Al. La majeure partie du film est une série de gros plans torturés de Tom Neal, ruminant sa malchance en un ultime « Pourquoi moi ? » Grâce à cette approche, Ulmer élabora un mélange envoûtant de claustrophobie et de paranoïa. […] Détour fait l’effet d’un cauchemar : l’inconscient oublie toute notion de pensée rationnelle pour s’envoler vers des sommets d’illogisme hypnotisant. » (Eddie Muller, Dark City, Clairac)
Détour (Detour)
États-Unis, 1945, 1h09, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Edgar G. Ulmer
Scénario : Martin Goldsmith d’après son roman éponyme
Photo : Benjamin H. Kline
Musique : Leo Erdody ; Frédéric Chopin, Johannes Brahms
Montage : George McGuire
Décors : Glenn P. Thompson
Costumes : Mona Barry
Production : Leon Fromkess, PRC Pictures
Interprètes : Tom Neal (Al Roberts), Ann Savage (Vera), Claudia Drake (Sue), Edmund MacDonald (Charles Haskell), Tim Ryan (Gus), Esther Howard (Hedy), Pat Gleason, Roger Clark (des hommes)
Sortie aux États-Unis: 30 novembre 1945
Restauration en 2018 par l'Academy Film Archive et The Film Foundation, en collaboration avec la Cinemathek, le MOMA et la Cinémathèque française et le soutien financier de la George Lucas Family Foundation.
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