Les Raisins de la colère

En 1939, le reporter et écrivain John Steinbeck publie Les Raisins de la colère, récompensé du Prix Pulitzer l’année suivante. Les droits d’adaptation du livre sont immédiatement acquis par Darryl F. Zanuck, l’adaptation et le scénario confiés à Nunnally Johnson et la mise en scène à John Ford. Sujet à controverse, le livre a été interdit dans certains États. Certaines institutions appellent même au boycott du film.

C’est la première fois que Ford traite un sujet contemporain : l’exil de milliers de famille touchées par la Grande Dépression, jetées sur les routes à travers le Dust Bowl, et que l’on laisse errer, et mourir de fatigue ou de faim. Obligée de quitter une terre qui a vu naître plusieurs générations, la famille Joad entasse une vie tout entière dans un camion et part pour la Californie, terre promise pour tous les délaissés d’Amérique. Cette fatalité n’est pas sans évoquer à Ford l’Irlandais, la grande famine qui toucha son pays au milieu du XIX^e siècle. L’itinérance, l’injustice, l'abandon des racines, autant de similitudes entre les deux drames.

Ford travaille avec Gregg Toland, chef opérateur vedette. Les deux hommes s’inspirent du travail des photographes de la Crise comme Walker Evans et Dorothea Lange. Le film est austère, les images sont sublimes. John Steinbeck à la sortie du film : «Les acteurs sont si complètement immergés qu’on croirait voir un documentaire. Le film a un accent authentique. »

Poignante dénonciation de la misère et de la mainmise du capital sur la petite propriété agricole, Les Raisins de la colère est la seule des fictions de Ford traitant directement d’un problème social contemporain. John Ford filme ses "bons hors-la-loi", ceux qui agissent de façon désintéressée en dehors des lois de la société, avec simplicité et affection. Et pour incarner le héros fordien du clan Joad, le cinéaste fait appel à son acteur favori du moment, Henry Fonda. Celui-ci fait corps avec ce personnage, mû par une sourde et profonde révolte. Une révolte d’une authenticité brutale et toujours d’une inexorable actualité. « Je serai quelque part dans le noir, je serai partout. Partout où tu regarderas. Partout où on se bat pour que des gens qui ont faim puissent manger, je serai là. Partout où il y a un flic qui bat un gars,  je serai là. Je serai là où les gens crient quand ils sont en colère, là où les enfants qui ont faim rient, parce qu’ils savent que le diner est prêt. Et quand les gens mangeront ce qu’ils font pousser et habiteront ce qu’ils ont construit, je serai là aussi. » (Monologue final de Tom Joad)