Menace dans la nuit

Menace dans la nuit est le film des adieux. Le premier est celui de John Berry à son pays : il est contraint, par la chasse aux sorcières du maccarthysme, de s’expatrier en France, pour un exil qui durera vingt-cinq ans. « Quand j’ai fait He Ran All the Way, la guerre était loin, et l’on commençait à voir qu’au lieu de l’avoir gagnée nous l’avions perdue, d’une certaine façon. Nous avions lutté pour la fraternité et nous avions la m… à nouveau, comme avant, ou pire. C’était le début du grand ravage du maccarthysme et de tout ce qui s’est ensuivi. » (John Berry, Cinéma 68 n°131, décembre 1968)

Le second adieu est celui de John Garfield, dont ce fut le dernier rôle. Venu de Broadway, cet acteur au jeu à la fois lyrique et poétique, meurt d’une crise cardiaque quelques mois après la fin du tournage. Il décède la veille de sa comparution devant la commission des activités anti-américaines, à qui il était censé remettre une liste de personnalités proches du Parti communiste.

Dans ce film noir par excellence d'après un roman de Sam Ross, John Berry aborde un thème encore peu fréquent dans le cinéma de cette époque, la prise d’otages. Dans ce huis clos, le réalisateur confronte deux mondes : le gangster traqué et une famille menacée. Mais tous sont  déterminés par l’appât du gain, le hold-up pour Nick et la récompense pour la famille. Finalement, ces deux univers, initialement opposés, sont renvoyés dos à dos : dans chacun, les mêmes illusions sont entretenues.

Menace dans la nuit est une pépite noire, photographiée en noir & blanc par le grand James Wong Howe, chef opérateur entres autres de Raoul Walsh et Howard Hawks.

« Pathétique, le "héros" de He Ran All the Way, magnifiquement interprété par John Garfield, l’est assurément. Dans ce film de John Berry, un voleur à la petite semaine tente de se réfugier dans une famille bourgeoise. Et ce que cette famille aurait fait pour un chien, elle ne le fait pas pour un homme en fuite. Là se trouvent nettement inversées les valeurs morales. Garfield est clairement le personnage positif, la famille le personnage à rejeter. Comme dans le film de Huston [Quand la ville dort], ce qui a poussé le gangster à tuer, c’est le désir de survivre, non celui de la puissance. » (François Guérif, Le Film noir américain, Denoël)