Razzia sur la chnouf

« Film violent et efficace, avec aperçus solides et colorés, enlevé à un bon rythme et ménageant quelques surprises aux bons endroits, cuisiné avec amour et permettant à quelques monstres sacrés : Gabin, Dalio, Lila Kedrova de faire leurs numéros avec ce rien d’outrance qui leur va si bien. » Voilà comment Raymond Chirat résumait, d’une plume alerte et concise, le célèbre Razzia sur la chnouf (Henry Decoin, 1890-1969, Avant-Scène du cinéma/Anthologie du cinéma, 1973).

Adapté de la Série Noire éponyme du voyou repenti Auguste Le Breton, ce film de Decoin est un pur polar, empruntant au genre toutes ses conventions : une galerie de personnages typés, une faune louche, une atmosphère glauque, des caves, des tripots, des filles… Mais la tonalité est différente. Tourné en décors naturels, Razzia sur la chnouf est un film réaliste aux accents documentaires. Certains critiques s’emportent devant ce portrait bien sombre : « On en a marre ! » s’écrie Simone Dubreuilh dans Libération.

Pourtant Decoin annonce la couleur avant même le début du film. « Dans la tradition du film socio-policier de l’Amérique des années 30 (Scarface, Public Enemy…), l’œuvre de Decoin débute par un carton explicatif : il s’agit pour les auteurs, de dénoncer, avec tout le réalisme requis, le « fléau de la drogue » et les agissements des trafiquants. En réalité, cette bonne volonté messagiste, rappelée çà et là en cours d’intrigue, fera surtout office de blanc-seing : comme chez Hawks ou Wellman, la profession de foi avalise certaines audaces singulières, tant narratives que formelles. Car, en expliquant le démantèlement d’un réseau criminel par les mauvais coups du policier qui s’y est infiltré, Razzia sur la chnouf ne propose rien d’autre à l’approbation générale qu’une trahison impunie. […] Peu de films noirs avant Melville auront à ce point souligné les équivalences complexes du traître et du héros. » (Philippe Carcassonne, Cinématographe n°63, décembre 1980). Avec Razzia, le film noir selon Decoin « découvre l’envers d’une morale ». (art. cit.)