Vers sa destinée

1939. John Ford réalise trois films, en forme de trilogie de la saga américaine de la conquête de l'Ouest, entre temps héroïques (Sur la piste des Mohawks), prémisses de la consolidation de la démocratie  (Vers sa destinée) et derniers moments des guerres indiennes (La Chevauchée fantastique).  

Vers sa destinée, biographie des jeunes années d’Abraham Lincoln, futur président des États-Unis, est l’un des films les plus personnels de John Ford. L'image de Lincoln, personnage fordien par excellence, a irrigué dès ses débuts l’œuvre du cinéaste. « Lorsque Ford parlait d’Abraham Lincoln à la fin de sa vie, il y avait "une si extraordinaire intimité dans son ton – et autant d’affection que dans "grand balourd" pour décrire John Wayne – que ce n’était plus un réalisateur parlant d’un grand président mais un homme parlant d’un ami." » (Peter Bogdanovich, in À la recherche de John Ford, Joseph McBride, Actes Sud/Institut Lumière). Aussi lorsqu’Henry Fonda refuse le rôle, se sentant incapable d’incarner un homme qu’il considérait comme « un dieu », John Ford trouve les mots pour le convaincre : « C’est parce que vous croyez que vous allez jouer le Grand Émancipateur, hein ? C’est juste un petit connard d’avocat de Springfield, rien d’autre ! » (Henry Fonda, in op. cit.). Fonda offre son charisme au personnage, et entame ainsi une longue collaboration avec Ford.

Film au rythme paisible et au charme lyrique, Vers sa destinée révèle un John Ford provincial et intime, portraitiste d’une figure majeure de l’Histoire et de l’Amérique rurale alors en pleine mutation.

« Manifeste de Ford en faveur de la noblesse fondamentale des valeurs américaines, Vers sa destinée concentre ces valeurs en un "extraordinaire homme ordinaire" campé par Henry Fonda avec un étonnant mélange de maladresse et de grâce. Ce film magique tire sa force et son charme de ce que Eisenstein a appelé "l’harmonie entre un style visuel de type "daguerréotype" et un contenu moral venu directement de Lincoln" ainsi que d’une genèse puisée dans "une matrice d’esprit national et populaire". » (Joseph McBride, op. cit.)